HAÏTI : PLUS D ’UN MILLION DE DÉPLACÉS INTERNES ABANDONNÉS DANS LEUR PROPRE PAYS
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Par : Galand BÉLIZAIRE
Le dernier rapport de l’Office de la Protection du Citoyen (OPC) dénonce une tragédie humanitaire d’une ampleur insoutenable dans la capitale haïtienne.
Port-au-Prince : capitale assiégée, citoyens en fuite
Dans l’ombre des grands titres sur la crise politique et économique d’Haïti, un autre drame se joue. Un drame silencieux, invisible, mais bien réel : celui des déplacés internes. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants contraints de fuir leurs maisons, leurs quartiers, leurs souvenirs, pour survivre.
Dans son rapport d’enquête publié en avril 2025, l’Office de la Protection du Citoyen (OPC) expose une réalité glaçante. Plus de 1,2 million de personnes vivent aujourd’hui dans des camps de fortune, dans des conditions qui ne respectent ni la dignité humaine, ni les droits fondamentaux les plus élémentaires.
Des quartiers livrés aux gangs, un État impuissant
Tout commence avec la montée en puissance des gangs armés dans la zone métropolitaine. À partir de 2020, le phénomène prend une ampleur effrayante. Les fédérations de gangs comme le G9, puis Viv Ansanm, occupent méthodiquement les quartiers stratégiques : Carrefour-Feuille, Solino, Delmas 30, Nazon, et même des portions de Pétion-Ville.
Routes nationales bloquées, pillages, incendies, viols collectifs, exécutions sommaires… Les forces de l’ordre, débordées, n’arrivent pas à contenir cette violence déchaînée. En conséquence, des milliers de familles fuient, laissant derrière elles maisons, biens, souvenirs… et parfois des proches assassinés.
> « Ce n’est pas le déplacement en soi qui choque, mais l’indifférence des élites et l’absence de réponses. » — OPC
Des camps indignes de l’humanité
L’étude a ciblé 16 camps dans les communes de Port-au-Prince et Delmas. Ces sites ne sont pas faits pour loger des familles : écoles, facultés, ministères, locaux de partis politiques ou même stations d’essence abandonnées. Les gens dorment à même le sol, entassés dans les salles de classe, les galeries, les cours ou les toits.
Voici quelques exemples :
- Lycée Marie Jeanne : 6 371 déplacés
- OPC Bourdon : 6 600 déplacés
- Lycée des Jeunes Filles : 5 385 déplacés
- ONA (Office National d’Assurance Vieillesse) : 2 340 déplacés
Les conditions de vie y sont inhumaines : manque d’eau potable, sanitaires insuffisants, propagation de maladies (gale, infections vaginales, fièvres), insécurité physique et psychologique.
Des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées et des handicapés sont laissés à eux-mêmes. Aucun encadrement médical ou social n’est systématiquement prévu. Le droit à la santé, à l’éducation, à l’identité, au logement, à l’environnement sain, est tout simplement piétiné.
Des droits bafoués, une politique absente
L’OPC s’appuie sur les Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Ces principes imposent à l’État haïtien l’obligation de :
- protéger les déplacés contre le danger,
- garantir leurs droits fondamentaux,
- organiser leur retour, leur réinstallation et leur réintégration.
Mais la réalité est tout autre : aucune politique publique n’a été mise en œuvre pour cela. Les déplacés n’ont aucun accompagnement de l’État, aucune protection juridique. Leurs droits sont ignorés, leur souffrance est normalisée.
> « Les camps ne sont pas des solutions. Ce sont des prisons à ciel ouvert pour des victimes invisibles. » — OPC
Quand l’État ne protège plus, qui le fera ?
Le rapport va plus loin. Il questionne l’inaction de l’État, son incapacité — voire son indifférence — face à la crise. Il parle de violations des droits humains par inaction, complicité, voire institutionnalisation du silence.
Les actions de certains policiers, les lacunes stratégiques, l’absence de coordination avec les ONG, tout contribue à transformer une crise sécuritaire en crise humanitaire majeure.
L’OPC appelle à :
1. La mise en place immédiate d’un plan national de relogement.
2. L’assainissement des camps et l’accès aux services de base (eau, santé, éducation).
3. Une véritable coordination entre l’État, les ONG et les partenaires internationaux.
4. L’intégration des déplacés dans une approche fondée sur les droits humains, et non l’assistanat.
5. La création d’un cadre légal clair pour la protection des personnes déplacées.
Une République à deux vitesses
Aujourd’hui, des milliers d’Haïtiens dorment sur le béton d’une école publique ou dans la cour d’un ministère, non pas parce qu’ils l’ont choisi, mais parce qu’ils ont été abandonnés.
> « Ce n’est pas seulement la population qui est déplacée, c’est la dignité humaine qui est en fuite. »
> — Me Jean Wilner MORIN, Protecteur du Citoyen
Haïti ne pourra jamais se reconstruire sans protéger les siens. Ce rapport est un cri d’alerte. Il est temps que la société civile, les leaders politiques et la communauté internationale écoutent, agissent, et reconstruisent… en commençant par les oubliés des camps.
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